C’est avec une grande Dame du mushing international que je vous livre la toute première interview du site Musher Experience. J’ai eu le plaisir et l’honneur de rencontrer la célèbre Isabelle Travadon, team Blau Fontein. Je lui ai posé tout un tas de questions auxquelles a gentillement répondu et qui nous permet d’en savoir plus sur cette musheuse d’exception.
Alors tout d’abord, bonjour Isabelle Travadon,
Isabelle Travadon, célèbre dans le mushing
Tu es musheuse, célèbre dans le monde du mushing & éleveuse, Team de Blau Fontein, et travailles avec Sandrine Muffat. Tu as participé à de nombreuses compétitions de traîneau à chiens telles que « La Grande Odyssée », la « Femundlopet » ou encore la “Finnmarkslopet”.
Oui et aussi « l’Alpirod » en Europe dans les années 1994-1995. Il y avait 50 mushers de toutes les nationalités: américains, canadien, russes , sacndinaves; C’était un peu comparable à La Grande Odyssée, avec un nombre de km similaire, mais elle se déroulait sur plusieurs pays au cœur des Alpes françaises, suisses, autrichiennes et italiennes. Elle a été arrêtée entre autres parce qu’elle était plutôt couteuse : tout le transport entre chaque pays, etc. La Grande Odyssée a pris le relais. Elle est très technique et très physique. Imagines quand tu dois descendre sur des pistes rouges verglacés avec 10 chiens.
Et du coup tu fais comment justement ? Tu apprends aux chiens à ralentir ou comment tu fais ?
On leur apprend à foncer donc on ne ralenti pas. Sur un chien de course il faut garder ce qu’on appelle le « will to go ». C’est à nous de tenir derrière, d’être suffisamment technique pour assurer la conduite du traineau.
Chien de course: Anadyr et Polar Speed
Justement on parle de chien de course et donc tu as une lignée particulière ? Qui la distingue des autres ?
J’élève depuis 30 ans et j’utilise des lignées d’Alaska et de Skandinavie, respectivement des Anadyr et Polar speed.
A, justement, comment on différencie les deux lignées ? C’est quoi, on va dire, leurs particularités ? Leurs caractéristiques ?
- Anadyr d’Alaska : Iditarod, donc plutôt longue distance, rustique, mange bien, pas fragile, assez léger.
- Polar speed finlandais : moyen et longue distance, un peu plus nerveux, moins rustique, plus speed.
On a vu apparaitre des chiens de sprint de lignées allemandes mais ils ne sont plus très typé husky. Il y en a qui vont dans les extrêmes pour croiser les husky et du coup ils sortent complètement des traits caractéristiques de la race
Le site internet d’Isabelle Travadon
J’ai vu sur ton site www.isabelle-travadon.com – c’est bien d’ailleurs d’avoir un site aussi bien fait, de bien communiquer sur tes activités – tu fais donc aussi des maine coon ? Qui du coup n’ont rien à voir avec les huskies ?
Je suis professionnelle.. J’ai des Leonbergs depuis 30 ans. Je me suis mise aux Maine Coon qui est un chat que j’adore. Comme je ne fais pas beaucoup reproduire, j’ai diversifié mes élevages. Çela me permet d’en vivre.
Je ne fais pas beaucoup reproduire les huskies. Ils sont destinés aux courses, pour les mushers. J’en vends beaucoup à l’étranger. En général ils sont tous réservés avant qu’ils naissent. J’ai tout le temps des demandes.
Isabelle Travadon parle de Sandrine Muffat
J’ai cru voir que tu as 10 mâles et 10 femelles actives ?
Sur le site il y a les chiens de Sandrine et les miens. Sandrine est une amie avec qui je m’entends bien et que j’ai formée. Il faudra bien que j’arrête les courses un jour. Elle reprendra le flambeau. Elle est en train de se constituer un petit team de 8 chiens.
Donc il faut s’attendre à entendre de plus en plus le nom de Sandrine Muffat ?
Elle a fait la Femund, je lui avais prêté des chiens. Cette année on va faire les différents trophées.
Husky sibérien: la lignée Blau Fontein
Quels sont tes relations avec ta meute ?
Je suis tout le temps avec mes animaux et nous sommes très proches; Les retraités restent à la maison. J’en suis désolée mais quand je pars l’hiver je ne peux pas les prendre.
Pour certains qui sont actifs mais plus assez performants dans mon team, je les prête pour la saison à des amis pour qu’ils se dépensent. Je ne peux pas faire un entrainement spécifique pour eux.
Sur ton site, tu as fait deux rubriques pour les retraités et les disparus. Tu m’avais dit que tes chiens devenaient retraités lorsqu’ils ne veulent plus courir, en général vers 12 ans, c’est bien ça ?
Oui, quand on commence la saison d’entrainement en Septembre, les chiens sont trèsexcités, l’ambiance est électrique. Ils courent vers moi pour que je leur mette le harnais. Quand un chien âgé reste à l’écart, c’est qu’il veut prendre sa retraite!
Un sujet douloureux: la mort de nos chiens
Et un sujet sensible mais que tous les mushers rencontrent : la disparition, la mort de nos chiens. As-tu des conseils à donner à toute personne pour passer ces étapes difficiles de la vie ?
Ce n’est pas parce qu’on en a beaucoup que c’est plus facile.
On essaie de faire le maximum pour les sauver ou les maintenir le plus longtemps possible dans de bonnes conditions, mais il ne faut pas s’acharner. C’est très difficile ces décisions. souvent on se dit que ça valait le coup de se battre, de le maintenir en vie, mais quelques fois on regrette car ils ont souffert pour rien. C’est très difficile.
Mes chiens vivent malgré tout assez vieux; 15- 16 ans. J’ai même gardée une chienne de tête 17 ans et demi!
Alors on change de sujet, je veux pas plomber l’ambiance.
Isabelle Travadon, passionnée par les animaux avant tout!
J’aurais voulu en savoir plus sur ton parcours. Comment en es-tu arrivé là ? Quel a été le déclic ou quand est-ce que c’est devenu « sérieux » ?
Je suis passionnée par les animaux depuis toujours, donc c’est ma vie. J’ai arrêté les études et je suis parti vivre à la montagne pour y enseigner le ski et l’équitation. J’ai eu mon premier husky. Je faisais du vélo avec lui et très vite j’ai monté une meute.
Je suis devenue éleveuse et j’ai rencontré mon mari comme ça ; c’était mon véto. J’aime la compétition et le dépassement de soi alors il faut se donner les moyens de ses ambitions: du travail, beaucoup de travail, se remettre en question soit même et pas ses chiens, apprendre des autres, discuter, ne jamais croire qu’on sait tout.
Il ne suffit pas d’avoir de bons chiens. Il faut de bonnes relations avec son équipe (ses chiens) et que les chiens aient envie de te faire plaisir. Pour ça, il faut vraiment beaucoup s’en occuper et entrainer.
(petite parenthèse sur les élevages, les lignées, husky typé show dog et husky typé course)
Il y a aujourd’hui en France un fossé entre chien de travail et chien de beauté . les chiens de beautés sont petits , trapus, avec beaucoup de poils et des pattes courtes; Les chiens de travail sont grands, légers et avec une fourrure moins abondante.
Les chiens qui gagnent les expos en Norvège ressemblent plus aux huskies qu’on avait en France il y a 20 ans!
Dans mon élevage, j’ai toujours essayé de rester dans le standard et de produire de beaux chiens.
Alors rentrons un peu plus dans l’équipement et la vie quotidienne.
On parle chenil et enclos pour chien
Comment est ton ou tes enclos ? Tu en a un ? Plusieurs ? Les chiens sont réparties comment ?
J’ai un très grand enclos de 1 hectare pour eux, avec 5 parcsd’environ 12m sur6 (près de 80m²) dans lesquels ils mangent et dorment la nuit par 4 ou 5
Les chiens sont mélangés males femelles ensembles durant la journée mais Je divise le parc en deux quand je ne suis pas là en séparant les plus dominants.
Il faut obliger les chiens qui ne s’aiment pas à être ensemble et à être attelés côte à côte . Il ne faut surtout pas les habituer à être séparer, ça va renforcer leur animosité.
Cet enclos de 1 hectare est une sorte de camp de vacances. L’été ils ne perdent pas trop de muscles car ils jouent et courent
Lorsque l’on rentre en période de travail, en saison de compétition je suis en Haute Savoie. Je ne les laisse pas en liberté toute la journée C’est une question de discipline, on est là pour travailler.
Et tu les lâches parfois tes chiens ?
Je les lâche mais il faut toujours avoir un œil dessus.
En général, surtout pour les jeunes, je fais ça après un entrainement, quand ils sont un peu fatigués. Comme ça ils n’ont pas vraiment envie d’aller courir ailleurs.
L’équipement d’Isabelle Travadon
Chez qui t’équipes principalement ? Pour le traineau ? Pour les lignes de traits ?
Il y a un très bon fournisseur Suisse pour les harnais et lignes câblée : swinsscool mushing
Antipode et Danler pour les traineaux. Ils font de très bons traineaux, j’ai pu tester les deux.
Comment sont tes niches ?
Je fabrique tout moi-même. Les niches doivent êtes pas trop grandes et avec toit plat pour que les chiens montent dessus. Je leur fait des plateformes en bois a 1m, 1,20m du sol. Ils aiment bien s’y coucher pour pouvoir surveiller les alentours.
Quel est ta routine ? Si tu pouvais décrire une journée type, disons pendant la saison ?
C’est très variable, ça dépend où je suis, ça dépend de la période,… Je suis contre le fait que les chiens aient des habitudes. Sur les longues distances on ne peut pas.
Un chien, si on l’habitue à ne pas avoir d’habitude, il sera moins stressé pour la compèt’. C’est bien mieux.
Je les nourris généralement 1 heure après l’entrainement pour une meilleure récupération.
S’il fait très froid je donne une petite soupe le matin avec de la viande pour les hydrater.
Croquettes Royal Canin, soupe et snack secret
Alors tu me parles de soupe, justement, tu donnes quoi à manger ?
Croquettes Royal Canin, qui est mon sponsor depuis 20 ans.
Pour les courses je donne du 4800.
Quand je fais des courses comme en Scandinavie,où il fait très froid, quand on fait beaucoup de km, je complète avec de la viande. Je leur donne aussi un bout de viande en récompense après l’entrainement
As-tu une anecdote, une expérience particulière que tu souhaiterais partager ?
(sourire) J’en ai des tonnes d’anecdotes.
Oui je me doute lol. Des tonnes ? A quand le livre ? Faut écrire un livre…
Oui, c’est un projet.
Là on a fait un film qui va sortir bientôt et qui s’appelle « Dallas chien de tête ». c’est l’histoire de mon chien de tête qui m’a suivi sur La Grande Odyssée et les grandes courses norvégiennes et qui fut un reproducteur exceptionnel
> Voir la bande annonce “Dallas, chien de tête”
Une anecdote assez incroyable
Et donc pour l’anecdote ?
Il y a 3 ans j’étais parti entrainer en Finlande. J’étais seule. J’entrainais mon attelage de 12 chiens. J’avais la carte pour me repérer sur les pistes. J’étais dans un coin assez sauvage à 15km de chez moi avec une température de -28°. Je m’arrête à un croisement, je regarde ma carte. 40 kg dans le traineau. Les chiens donnent un coup de reins. Je tombe en arrière et les chiens partent seuls.
Sans frontale, à 15h30, sauf que là-bas il faisait nuit à 16h.
J’avais un stress énorme, peur que les chiens prennent une route de moto neige et qu’ils se fassent percuter.
Je courrais et tentais de suivre la trace des chiens qui bien sûr allait bien plus vite que moi. J’ai voulu appeler mon mari en France pour qu’il appelle en Finlande prévenir des amis pour retrouver mon attelage si quelqu’un le voyait. Sauf que je ne captais pas.
Tout d’un coup je vois mes chiens revenir. Ils revenaient sur la piste vers moi. Mes 12 chiens alignés, mon traineau debout nickel, avec mon chien Dallas en tête.
Je remonte sur mon traineau et repars.
Mon traineau avait du se bloquer dans une descente dans la poudreuse. Dallas a du s’apercevoir que je n’étais plus là. Il s’est retourné et est revenu!!
Une astuce?
Pour finir, pour éviter ça on peut s’attacher au traineau ? Il faut le faire ?
En général je suis toujours attachée pour éviter ces risques-là. Le truc bête. Et ce coup-ci on était sur une piste toute simple et je n’étaispas attaché, ou je me suis détaché juste un instant. Et je n’avais pas de frontal. Il faut toujours avoir une frontale sur soit au cas où.
Comme quoi dans ces régions il ne faut rien laisser au hasard.
Enfin, Isabelle, je te remercie beaucoup pour cette interview. C’est un vrai plaisir.
Oui. Et quelle chance parce que perdu comme ça dans le noir et le froid, ça aurait pu vraiment mal tourner.
très belle interview !